(*) = Lapsus d’Hergé dans une lettre à Adolfo Simões Müller, 7 juin 1940. (mise-à-jour: J’ai cru que c’était un lapsus, puisque B. Peeters semble lui-même étonné de cette allusion. Mais il y aurait bien une version de Tintin en Angola datant de 1939.. Hergé savait donc effectivement bien de quoi il parlait.)
Par hasard, le mois dernier, j’ai eu dans les mains “Hergé, fils de Tintin” par Benoît Peeters (éd. Flammarion). Ce n’est pas que je suis un grand fan de ce genre de biographie, mais quitte à lire un ouvrage à propos du maître belge (et dieu sait s’il y en a pléthore), autant lire celui d’un auteur de BD et un des meilleurs spécialistes d’Hergé (selon le 4ième de couverture). Je vous passe ma critique du livre, qui ne serait pas très intéressante. Le but de ce billet est de vous communiquer un extrait qui m’a fort interpellé.
Autour de la question du racisme présent dans l’album “Tintin au Congo” et de son interdiction de publication (toujours régulièrement d’actualité d’ailleurs), Benoît Peeters recopie un extrait paru dans une revue zaïroise de 1970. Le voici:
Tintin au Congo, ce fut, pour plusieurs générations d’enfants belges, le premier contact avec ce fabuleux pays dont ils entendaient parler: le Congo. […]
Le Congo que découvre Tintin, c’est naturellement, le Congo de papa et même, à y regarder de plus près, le Congo de grand-papa. C’est un pays hostile où les chiens imprudents, comme Milou, s’ils ne regardent pas où ils mettent leurs pattes, risquent de se retrouver dans le ventre d’un boa constrictor au demeurant débonnaire. C’est un pays où les missionnaires à la longue barbe bravent les bêtes sauvages pour évangéliser les Congolais, naïfs, crédules, à des milliers de kilomètres de chez eux.
Le Congo de Tintin, c’est aussi un si extraordinaire terrain de chasse que les antilopes s’accumulent les unes sur les autres sans que le chasseur distrait s’aperçoive que celle qu’il vient de tuer sans le savoir a été remplacée immédiatement par une autre qu’il ne peu pas rater (pour le prestige!).
Le Congo de Tintin, c’est surtout une sorte de paradis terrestre retrouvé par l’homme blanc qui, il y a trente ans comme aujourd’hui, est à la recherche de cet Éden ou il pourrait, enfin goûter le bonheur d’une humanité fraternelle.
Cette humanité fraternelle, pour Hergé (et pour les milliers de lecteur dont il exprime le rêve), c’est celle des Congolais. L’humanité fraternelle est évidemment peuplée de gens simples. Et ces gens simples, puisqu’ils sont noirs, ont naturellement des visages épatés et s’ils parlent, ils parlent évidemment « petit nègre » : ce babil que ceux qui n’ont jamais vu l’Afrique que dans leurs rêves et les peuples descendant de l’Afrique que dans les clichés désuets de La Case de l’Oncle Tom prêtent aux enfants des hommes de peau noire!
[…]
Il y a une chose que les Blancs qui ont arrêté la circulation de Tintin au Congo n’ont pas comprise. Cette chose, la voici: si certaines images caricaturales du peuple congolais données par Tintin au Congo font sourire les Blancs, elles font rire franchement les Congolais, parce que les Congolais y trouvent matière à se moquer de l’homme blanc « qui les voyait comme cela » !
Zaïre, 29 décembre 1969, p.3.