La “popotte interne” du chômage

Ou pourquoi un chômeur n’a sans doute pas intérêt à travailler un dimanche. Ni un vendredi ou un lundi d’ailleurs…

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C’est un peu rocambolesque comme histoire, mais suivez moi.

La règle pour tout chômeur, c’est que les jours où il (ou elle) travaille, il (elle) doit noircir les cases correspondantes de sa carte de pointage et il (elle) n’est pas indemnisé(e) pour ces jours-là. C’est évident, tout le monde comprend. De manière générale, les jours indemnisés sont tous les jours ouvrables, donc du lundi au samedi. C’est sur cette base du nombre de jours ouvrables où le chômeur n’a pas travaillé qu’il est indemnisé. L’indemnité par mois d’un chômeur se calcule comme suit :

indemnité journalière x nombre de jours à indemniser

(le chômage est bien une indemnité par jour et non par mois comme on pourrait le penser)

Maintenant, que se passe-t-il si un chômeur fait un contrat de travail un dimanche. Naïvement, on pourrait croire que le calcul est simple, il suffirait de retirer un équivalent de jour ouvrable dans la semaine qui précède ou qui suit ou sur le total du mois en cours. Que nenni.

Un de mes amis (qui ne préfère pas être cité) a récemment appris les règles de conversion en cours dans les organismes de paiement. L’employée de son syndicat n’a d’abord pas voulu lui communiquer cette info prétextant : “ça c’est notre popotte interne“. Mais comme il insistait, voici ce qu’elle lui “grommela” :

  • Si un chômeur travaille un “dimanche”, il perd 2 jrs d’allocations en semaine.
  • Si un chômeur travaille “2 ou 3 jrs en semaine”, il perd l’allocation d’un demi samedi.
  • Si un chômeur travaille “4 jrs en semaine”, il perd l’allocation du samedi.
  • Si un chômeur travaille “le vendredi et le lundi qui suit”, il perd l’allocation du samedi.
  • Si un chômeur travaille “le vendredi et le dimanche qui suit”, il perd 2 jrs d’allocations en semaine + l’allocation du samedi.

À l’inverse de mon ami, je ne m’étais jamais posé la question de pourquoi le chômage me payait certains mois des demi-jours, mais avec ces infos, je comprends mieux (enfin, j’ai dû relire 4 fois les règles quand même). Je n’ai pas trouvé, ni vraiment cherché la loi ou la règle le l’ONEm qui détermine cette conversion. Je ne sais même pas dire si c’est appliqué de la même manière dans tous les organismes de paiement, mais j’imagine que oui. Ça doit être une circulaire ministérielle qui a dû déterminer ceci. Quand? Peut-être 2008 selon une autre source. (mise-à-jour du 17/09/2014) Grâce au groupe Conseildead, j’apprends que ces règles sont décrites dans l’Art. 21 de l’Arrêté Ministériel du 26 novembre 1991 portant les modalités d’application de la réglementation du chômage.

Mais analysons un peu ces conversions et leurs implications. Les chômeurs que je connais et qui bossent avec des petits contrats temporaires sont principalement des artistes ou techniciens audio-visuel (bin oui, c’est le milieu que je fréquente), mais je pense aussi à tous ceux qui bossent dans l’Horeca et autres métiers saisonniers. Pour tous ces groupes, les contrats d’un dimanche ne sont pas différents  d’un contrat fait un lundi ou un jeudi. Le taux horaire ou le cachet est à priori le même. Ce n’est pas comme un employé qui, s’il travaille le dimanche ou tard le soir, est soumis à des taux horaires différents. Mais bon, c’est le métier qu’on a choisi, travailler quand les autres se détendent. Et là n’est pas le problème. Faudra néanmoins m’expliquer pourquoi on retire l’équivalent de deux jours de travail à un chômeur alors qu’il n’en a travaillé qu’un seul. Et là, je ne parle même pas de la nouvelle règle d’application de janvier 2014 et qui ne concerne que les contrats d’artiste fait au cachet. Non, ici, on parle d’un contrat, sans doute fait dans de l’intérim ou équivalent, pour un job non soumis à des barèmes stricts de salaire.

(Comme exercice supplémentaire, je vous laisse faire les calculs de décompte de jours d’indemnités pour les contrats d’artistes au cachet, fait un dimanche, après janvier 2014. Petit indice: paraît que ça se cumule.)

Bien entendu, je souhaite à toute personne de trouver un emploi stable et qui lui permette de se sortir de ce système d’indemnité, mais pour les métiers précaires, c’est quoi le message avec ces conversions à se casser la tête.

En gros, t’as pas trop intérêt à travailler le dimanche, encore moins si tu travailles le vendredi qui précède. Et si jamais tu travailles un vendredi, t’avises pas de prendre un contrat le lundi qui suit. Sauf si tout ça est payé triple, mais là, tu rêves un peu.

Sans rire, je ne pense pas que le fait de connaître ces règles changera quoique ce soit dans la pratique de mes collègues artistes ou en tout cas pas de manière significative. Vous ne payerez pas non plus votre place au théâtre plus cher parce que vous venez un dimanche après-midi, avec les enfants, après la messe. Mais admettez qu’il y a un goût amer quand un employé d’un syndicat refuse de vous communiquer ces infos sous prétexte que cela ne vous regarde pas. Aurait-on ici inversé les rôles ?

Ami chômeur, ce dimanche, ne noircis pas tes cases, ni ne calcule, vas à la messe et fais l’aumône puis pénitence pour avoir eu de mauvaises pensées vis-à-vis de ta camarade syndicaliste.

(Photo by Mat_the_W under Creative Commons Attribution Share-alike)


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